Chapitre 40
22 septembre 2019.
Jamais je n’aurais pensé arriver jusque-là.
Au début, je me demandais de quelle façon commencer ce récit, et maintenant je me demande comment le finir car raconter le début de notre histoire n’était pas facile mais la fin le sera d’autant plus car je ne crois pas sincèrement qu’il y ait une fin quoiqu’il puisse arriver.
Une fin signifierait qu’il n’y a plus rien à raconter, plus rien à vivre
Vivre ? Voilà bien un mot qui m’aura donné du fil à retordre puisqu’il a fallu que j’en comprenne le sens. Pourtant, je n’ai vraiment pas envie de faire un bilan, mais force est de constater que nous avons profondément changé tous les deux.
Je dois être honnête avec toi, mais aussi avec moi. Lorsque j’ai commencé l’écriture de ton histoire ou plutôt de notre histoire, j’ai pensé (à tort ?) que ton départ était proche. Et pourtant tu es là. Même si ton état physique me laisse assister impuissant à une lente mais évidente déclinaison, tu résistes pour nos enfants et pour moi.
Pour te protéger, tu as réussi à te bâtir une forteresse, une citadelle imprenable. Jour après jour, brique par brique, tu as forgé cette carapace en fonction de la manière avec laquelle tu pouvais interagir avec le monde qui t’entoure. Mais ça, je ne l’ai pas compris tout de suite.
Tu as créé un monde à l’intérieur de ta tête. Un monde dont je commence tout juste à percevoir le fonctionnement au bout de presque cinq ans et demi. Car depuis le 7 mai 2014, nous avons tellement partagé toi et moi…
Je revois ces moments où je pleure anéanti par le chagrin de voir la femme que j’aime dans cet état, et toi… Oui, toi qui me consoles lorsque je pleure sur ton torse alors que tu ne parles pratiquement plus. J’entends encore ton souffle entrecoupé de légères sonorités qui me dit :
« Pleeeuuureee paaas mooon Bééélooouuu… », et tu me consoles toujours aujourd’hui.
Au début, j’ai perdu le sens de la réalité en refusant de voir la femme que tu devenais, à tel point que j’ai failli perdre le fil qui me reliait à nos enfants. Je n’acceptais tout bonnement pas ce qui nous arrivait. Alors il a fallu que je réagisse en prenant le taureau par les cornes comme on dit. La honte du désir de me reconstruire tout en te tenant la main fût quelque chose d’extrêmement difficile à accepter.
Mais parfois, on a des petits signes qui viennent de personnes que l’on n’attendait pas. Mon petit garçon qui me dit un après-midi au courant de l’été 2016 alors que nous sommes tous les deux en voiture. Lui qui n’a que six ans et demi :
« Papa, est-ce que tu aimes maman ?
- Bien sûr fiston.
- Et maman, est-ce qu’elle reviendra un jour à la maison ?
- Tu sais mon bonhomme, même si c’est ce que je souhaite le plus au monde, c’est quelque chose qui est impossible malheureusement.
- Mais papa, si tu aimes maman et qu’elle ne pourra plus jamais rentrer à la maison, tu ne peux pas rester tout seul. Tu dois trouver une amoureuse.
- … ».
Les enfants sont comme ça, sans filtre et sans détour. Ils vont directement à l’essentiel en occultant inconsciemment les détails qui pourraient les gêner dans leur réflexion et je pense que c’est ce qui fait toute leur innocence. Mais quelle surprise quand cela sort de la bouche de son propre enfant.
Il y a eu aussi ce chanteur et musicien de talent, Julien Assayah, que j’ai découvert au détour d’une publication de ce cher Gilbert Montagné, et avec qui j’ai eu le privilège d’échanger quelques mots par message. Avec beaucoup de pudeur et de bienveillance, il m’a écrit ces mots que je garde en mémoire :
« Je te souhaite tout le courage que tu sembles déjà avoir ».
Et sa chanson J’te donnerai tout m’a galvanisé si j’ose dire. Lorsque l’on écoute les premiers mots du texte de cette composition si forte… :
« Et que chacun reste à sa place,
Sans se mêler de notre histoire.
Les gens qui pensent tout savoir,
De leurs conseils qui donnent espoir… »
… On comprend ces paroles car face à une telle situation, je crois que chaque personne aurait eu sa propre façon d’agir. Je ne vois pas comment quelqu’un peut dire sans hésiter de quelle façon il ou elle aurait géré ça à ma place. Cela ne signifie pas non plus pour moi, avoir cette prétention ou cette arrogance de dire quelle est la bonne méthode pour actionner tel ou tel levier. Il a pourtant fallu que je sache très vite comment me situer dans cette histoire en apprenant de force à composer entre notre histoire et une autre vie. Apprendre en quelque sorte à partager ma vie et mon cœur en deux tout en restant présent le plus possible à tes côtés.
Difficile à dire car lorsque j’ai choisi d’assumer la décision de rencontrer quelqu’un, je ne voulais pas t’en parler. Principalement parce que je ne voulais pas te faire de peine. Mais je le reconnais, j’ai eu tort là aussi et j’aurai dû partager cela plus tôt avec toi avant même que cette idée ne fasse son chemin.
Ce jour de juillet 2017, tu m’as bluffé. J’arrive avec nos enfants pour une visite qui ressemble à beaucoup d’autres. Ils te disent bonjour et comme à leur habitude, vont regarder la télévision dans une petite pièce à côté le temps que je discute avec toi quelques minutes :
« Bonjour ma p’tite femme.
- Booonjouuur.
- Ah… ? Tu ne me dis pas bonjour comme d’habitude. Qu’est-ce qu’il y a ?
- Tuuu aaas queelqu’uun daans taaa viiie.
- …
- Jeee leee seeens ».
Je reste sans voix. Comment fais-tu ? C’est un truc qui me dépasse. Tu es là, devant moi et sans bouger de ton lit, tu perçois quelque chose de différent. Bien plus aiguisé qu’un sixième sens féminin, tu décryptes chaque inflexion de ma voix en gardant les yeux fermés. Maladroitement, j’essaie de te mentir au début mais c’est peine perdue. Tu as beau avoir des hallucinations, tu gardes l’esprit clair et affûté en ce qui concerne l’amour que tu portes sur notre histoire. Alors je me résigne au bout de quelques jours :
« Oui, c’est vrai… ».
Les premiers temps, tu manifestes ton opposition ce qui est tout à fait légitime quand on y pense. Pourquoi une autre femme que toi aurait le droit de rentrer dans notre vie, d’occuper une place mon cœur ?
Tu as peur que cette femme détourne le regard que j’ai sur toi en volant l’homme que tu aimes, mais…
Jour après jour, tu te rends compte que ma présence à tes côtés est aussi infaillible que mon amour. Petit à petit, tu réalises un chemin bien difficile et par lequel je suis passé, celui de l’acceptation. On dit que l’amour peut déplacer des montagnes mais tu as fait bien plus que cela en comprenant que j’avais besoin de partager une vie faite de moments simples et légers pour continuer de rester debout à tes côtés et avancer pour nos enfants.
Une chose est sûre, écrire cette histoire m’a réellement permis de repousser mes limites. En dehors des décisions que nous avons prises toi et moi, ce fût la meilleure.
J’étais moi-même surpris par cette masse d’informations stockées dans ma mémoire. Pour imager, tout était soigneusement rangé dans des tiroirs et ne demandait qu’à en sortir. Alors lorsque je me suis rendu compte que j’étais capable d’en faire ressortir tellement à partir des trois premiers chapitres, je me suis engouffré dans cette brèche qui fût pour moi un exutoire salutaire maintenant que je touche au but.
Je vois également dans ce récit une façon de parler de toi autrement que par la maladie en essayant de mettre en lumière comment une telle situation peut bouleverser une vie de femme, d’homme, de couple, de famille et bien sûr d’enfant.
Justement… Nos enfants. Louis n’avait que quatre ans et demi lorsque tu as quitté la maison et Pauline, seulement un an et quatre mois. Notre grand garçon a mûri très vite et il m’a impressionné par son incroyable capacité à trouver des solutions pour gérer une situation si étouffante ou plutôt angoissante. Même si j’ai eu recours à l’aide d’une psychologue pour enfants dans le but de trouver les bonnes clés pour ouvrir les bonnes portes, il a fait le plus gros travail tout seul.
Pauline quant à elle n’a pas de souvenirs de toi à la maison et sa reconstruction est passée par diverses histoires qu’elle s’est inventée pour expliquer ton état. Lorsqu’elle a commencé à s’exprimer librement, elle pensait que tu étais comme ça parce que tu étais tombée dans la rue. Et puis environ deux ans plus tard, une image plus violente est ressortie car cette fois, elle justifiait ton apparence par un camion qui t’avais renversée. À partir de là, il a simplement fallu lui expliquer qu’un petit bouton avait poussé dans ta tête, et on avait réussi à enlever le fameux bouton mais il avait cassé des petits morceaux à l’intérieur.
Aujourd’hui, ils vivent cette situation avec un regard d’enfant et des réponses en rapport avec leurs questions d’enfants. Lorsqu’ils seront adultes, leur regard sur le monde qui les entoure aura changé ainsi que leur réflexion. Inévitablement, ils se poseront des questions. Cette fois ils auront l’âge de comprendre pourquoi ils ont été privés de ta présence pendant leur enfance afin d’avoir les meilleures armes pour affronter le monde qui les attend.
Il y aura désormais pour eux cette possibilité de pouvoir toucher du doigt des souvenirs qu’ils auront occultés inconsciemment ou tout simplement oubliés.
Ils pourront alors se tourner vers l’avenir sans la crainte d’un passé qui aurait pu les perturber pour grandir en ayant la fierté et l’exemple d’une mère qui se bat pour ses enfants.
Je t’aime…