Le temps des secrets

Abel Bau

L’attente (1)

Chapitre 18

J’ai l’autorisation de rester dans ta chambre pendant toute la durée de l’opération. Ayant prévu tout ce qu’il fallait pour passer le temps étant donné que l’opération va durer plus de 6 heures, je m’installe au milieu de ta chambre où il n’y a qu’un fauteuil et une table.

J’allume la télévision mais avec le son coupé, puis j’ouvre mon PC portable et sors 2 DVD de la sacoche. Un film d’action dont je ne me souviens plus et le documentaire Rendez-vous en terre inconnue avec Gilbert Montagné. Ce DVD m’a été offert par mes amis Julien et Céline quelques temps avant que tu ne tombes malade car ils savent que j’affectionne beaucoup cet artiste.

J’enclenche donc la lecture et c’est au Zanskar que l’artiste se rend avec le présentateur Frédéric Lopez. À l’extrême Nord de l’Inde, aux confins des montagnes de l’Himalaya se cache un des derniers refuges de la culture tibétaine libre à plus de 4000 mètres d’altitude…

Le village de Purni. Et c’est ici que Gilbert va rencontrer Dolma et son fils Dorje qui vont profondément le bouleverser à tout jamais.

Le documentaire a commencé depuis 30 minutes environ lorsque deux aides-soignantes rentrent dans la chambre avec un petit plateau sur lequel il y a tout ce qu’il faut pour faire un petit déjeuner de champion. Café, biscottes, beurre, confiture, jus d’orange et petits gâteaux :

« Bonjour monsieur Bau. On s’est dit avec ma collègue que ça vous ferait du bien donc on a fait ce petit plateau.

- Merci les filles, c’est trop sympa. Je dirai même plus c’est royal !

- De rien… Bon courage à vous ».

Et elles repartent aussitôt. La matinée s’est écoulée très lentement en regardant l’heure toutes les dix minutes avec l’angoisse de ne pas savoir ce qu’il peut se passer pour toi. Passe l’heure du déjeuner puis aux alentours de 14h, toc toc toc…

Une aide-soignante que j’apprécie rentre avec un léger sourire aux lèvres et je remarque deux mains posées sur ses épaules avec le haut d’une tête, faussement dissimulée, que je reconnais immédiatement. Des grands yeux bleus et toujours une voix rassurante, la cadre de santé en neurochirurgie sort de sa « cachette » et je suis touché qu’elle se soit déplacée pour me tenir informé de la situation. Avec un grand sourire, une voix douce et un air satisfait, la responsable engage :

« Bon alors déjà, comment allez-vous Monsieur Bau ?

- Bien je dirais si ce n’est que j’ai l’impression d’avoir couru un 100 mètres alors que je n’ai pratiquement pas décollé de mon fauteuil. Comment va-t-elle ? L’opération est terminée ?

- L’opération n’est pas terminée mais ils sont en phase de retirer les microsondes logées entre les deux hémisphères et c’est relativement délicat. Sinon, tout s’est très bien déroulé et cela a duré environ 6 heures et quart. Maintenant ça va demander encore 30 minutes avant que tout soit terminé et ensuite elle ira dans un box aux soins intensifs ».

J’affiche une mine moins tendue mais elle me ravise en expliquant :

« Il est vrai que nous sommes sur une note positive mais ce n’est pas fini. Nous venons tous de franchir une première étape très difficile, maintenant il y aura un long processus de réapprentissage pour elle. Car comme vous le savez, cette intervention aura altéré ses facultés motrices, et là, il faudra que vous soyez fort mais qu’elle se batte elle aussi.

- Oui, vous avez raison et j’en suis conscient. Est-ce que j’aurai le droit de la voir rapidement avant de rentrer ? ».

Elle pose la main sur mon épaule avec beaucoup de sympathie et finit par :

« Dès qu’elle est remontée et branchée, je vous fais appeler et si vous le souhaitez, vous pourrez rencontrer notre neurochirurgien ainsi que son confrère qui l’ont opérée avant d’aller la voir.

- Merci pour votre écoute et pour tout ça. Vraiment merci.

- Je vous en prie ».

Environ 2 heures plus tard, je vois enfin les deux hommes qui t’ont opérée. Dans le bureau, j’offre d’abord à celui qui m’est familier une première poignée de main. Je ne sais comment réagir face à un homme qui a tout tenté pour sauver la femme que j’aime. Avec son allure calme et posée, il donne une mine fatiguée avec des traits tirés derrière sa barbe finement taillée, alors qu’il sort d’une opération éprouvante à diriger. Il me présente le confrère avec qui il a collaboré pour maximiser les chances. Je ne me souviens pas beaucoup de son visage mais je me rappelle parfaitement de cet instant. Il me tend sa main droite, et je la saisis fermement avec les deux miennes en baissant la tête pour lui monter toute mon infinie reconnaissance. Après qu’ils m’aient expliqué brièvement le bon déroulement de l’opération, je me rends à ton chevet.

Je pénètre dans le box où tu te trouves, au service de soins intensifs de neurochirurgie. Allongée sur ton lit, tu as un visage reposé, incliné vers la gauche qui donne l’impression que tu dors paisiblement. Pourtant, je sais que tu n’es qu’à moitié endormie. Une bande de cheveux d’environ 5 centimètres de large a été rasée sur tout le dessus de ton crâne en reliant une tempe à l’autre et en son centre, j’y vois une cicatrice qui fait la même longueur. Plusieurs appareils branchés sur toi indiquent moult renseignements mais cela reste très impressionnant car je n’ai jamais vu autant d’écrans.

Après t’avoir embrassée sans te « réveiller », je quitte ton espace de repos afin de retrouver tes parents pour tout leur expliquer.