Chapitre 19
Le lendemain, je me rends rapidement sur place pour voir évidemment ton état, mais aussi parce que j’ai une petite surprise pour le neurochirurgien ainsi que sa collaboratrice et toute leur équipe.
Avant de venir te voir, je décide donc de faire un petit détour par leurs bureaux respectifs. Je vois d’abord la cadre de santé, et je lui offre deux cadres photo emballés. Un grand et un plus petit mais chacun avec la même photo de groupe. Une fois les paquets déballés je lance :
« Vous vous souvenez ? Cette photo prise avec toute votre équipe ? Eh bien voilà, vous avez un grand cadre prévu pour votre salle de pause et un plus petit que vous pouvez mettre si vous le souhaitez dans votre bureau ».
Elle sourit, très touchée par mon geste. Il est vrai que la photo est très belle car elles ont toutes ce sourire qui laisse percevoir un groupe soudé avançant dans le même sens. La responsable est pratiquement en premier plan à droite mais pas centrée tandis que le reste de l’équipe, disposé derrière elle, porte de magnifiques valeurs professionnelles et humaines.
« Ce sont les filles qui vont être contentes, me dit-elle.
- Oui j’espère… Dites, est-ce qu’il est là ?
- Normalement oui, il devait rester à son bureau et de toute façon, il doit vous voir aujourd’hui pour vous expliquer la suite.
- OK. Merci et à plus tard ».
***
Malgré toute l’honnêteté du récit de notre vie que je souhaite partager, j’essaie de faire preuve d’une certaine pudeur. C’est pour cela que je ne souhaite pas évoquer le présent offert au neurochirurgien.
***
« Bonjour Docteur.
- Merci beaucoup pour votre présent, ça me touche.
- Je vous en prie. Alors dites-moi maintenant en détail comment s’est passée l’opération et ce qu’il va arriver en théorie.
- Tout s’est très bien passé et une imagerie de contrôle va être pratiquée aujourd’hui. Lors de l’exérèse du cavernome, il restait une toute petite partie des dégâts qu’il avait occasionnés sur le côté du tronc cérébral. Nous savions que si nous choisissions d’aller plus loin, nous risquions de provoquer de très forts dommages et ce n’est pas le but évidemment. Il restera cependant au cerveau un gros travail pour trouver…, (il cherche ses mots en entrecroisant ses doigts), d’autres chemins pour retrouver des connexions.
Dans un premier temps, elle va rester trois jours, voire quatre en soins intensifs. Ensuite, elle reviendra en neurochirurgie pendant une bonne douzaine de jours pour voir s’il y a une évolution post-opératoire, pour faire des tests de déglutition et voir comment le corps peut éventuellement réagir sur la motricité de base. Et enfin, une fois que nous aurons tous les indicateurs au vert, elle partira au centre de médecine physique et réadaptation où un long processus de réapprentissage l’attend.
J’allais d’ailleurs me rendre en soins intensifs dans vingt minutes pour la consulter avec un de mes confrères neurologue qui prendra le relais quand elle quittera notre service. Vous pourriez vous joindre à nous car ça vous permettrait de faire connaissance.
- Oui, avec plaisir ».
Nous nous rendons dans l’unité où tu te trouves quelques minutes plus tard et je croise l’homme à qui nous aurons à faire.
C’est un homme très grand et avec les cheveux châtain clair qui me fait face. Avec une voix très monocorde, il m’a laissé comme première impression celle d’une personne fière et prétentieuse étalant son savoir pour rabaisser la personne en face de lui. L’avenir me démontrera que j’ai eu tort de penser ça car je vais connaître quelqu’un de très intelligent qui va réussir à me faire comprendre et appréhender (à mon niveau et avec beaucoup de pédagogie) la bordure des mécanismes complexes de notre cerveau.
Allongée sur ton lit, le neurologue se penche au-dessus de toi et t’adresse la parole :
« Bonjour Madame Bau, est-ce que vous m’entendez ? »
Tu hoches la tête une fois.
« Nous avons une connexion », dit-il. Puis il poursuit :
« Pouvez-vous lever vos bras devant vous ? »
Cette image restera gravée dans ma tête à tout jamais. Suite à cette dernière question, tu lèves tes bras tel un pantin désarticulé. Les fils et tuyaux de tes perfusions s’agitent dans tous les sens aux mouvements oscillatoires et désordonnés de tes bras. Mais tu réussis avec panache cette première « épreuve ».
Après avoir brièvement discuté avec toi car tu as pu prononcer quelques mots, les confrères nous laissent tranquille pour que l’on se retrouve. Tu engages très lentement en gardant les yeux fermés :
« Mon Bélou, enlève moi ça. Ça me fait mal.
- Quoi donc ma femme ?
- J’ai un truc sur le poignet qui me fait mal ».
Je touche ton poignet droit en faisant bouger ce que tu me désignes. Ce n’est pas une perfusion mais un petit embout noir dont une extrémité semble quand même rentrer sous la peau :
« C’est de ça dont tu parles ?
- Oui. Enlève-le.
- Non ma petite femme. Si c’est là, c’est que ça doit avoir son importance.
- Enlève-le sinon je le fais moi-même.
- Pfff, bah voyons. N’importe q… ».
Je n’ai pas eu le temps de finir que tu te redresses sur ton lit avec vigueur, tu portes ton poignet droit à ta bouche et en serrant ta mâchoire sur cet embout qui dépasse, tu tires dessus violemment pour l’arracher avec le scotch, tournes ta tête et recraches ce que tu viens d’extraire avec force.
BIP …BIP…BIP…BIP…BIP … !!!
« INFIRMIÈRES !!! VENEZ VITE BOX 6 !!! » je me mets à crier en sortant dans le petit couloir.
Deux femmes arrivent en courant :
« Que se passe-t-il ?
- Elle s’est assise dans son lit, a arraché ce truc-là qui pend sur le côté et tout s’est mis à sonner.
- Ah ouf ! Ce n’est rien, ne vous inquiétez pas. En fait, ce qu’elle a arraché c’est ce qui permet de prendre son pouls en permanence sans que l’on ait à se déplacer. On va juste devoir venir plus souvent car tous les écrans que vous voyez sont reliés à notre bureau et il en est de même pour tous les patients de notre unité.
- Parfait je vous remercie. J’ai juste eu peur c’est tout.
- Pas de problème monsieur ».
Elles s’en vont, je me retourne vers toi et je remarque que tu as un sourire en coin avec les yeux toujours fermés :
« Tu vois que j’y suis arrivée mon Bélou.
- Tête de mule ».