Chapitre 22
Fin juillet 2014.
Tu commences comme prévu ta rééducation. Des exercices simples, mais qui te demandent une énergie incroyable par rapport à ton état, te sont prescrits. La première semaine, le personnel me dit que tu donnes tout ce que tu peux et ils ont conscience que ce n’est pas facile pour toi. Ils essayent cependant de te faire travailler dans tes limites car ils ont compris ta volonté de vouloir avancer.
Tu dois t’appuyer sur les bras de ton fauteuil roulant et pousser sur tes jambes pour tenter de te mettre debout. Une épreuve délicate car tu n’arrives plus à ouvrir tes paupières. Ce handicap supplémentaire qui ne facilite pas les choses n’enlève en rien cette rage qui t’appartient.
Les jours passent et l’on voit bien que ça devient difficile pour toi de faire certains exercices.
Aujourd’hui, je suis venu te rendre visite au centre de médecine physique, mais avant, je suis interpellé par la responsable du service d’une façon très cordiale car elle a une recommandation à me transmettre sur ton état. Depuis quelques temps, le service remarque que tu prends du poids et elles savent que tu as quelques faiblesses côté friandises :
« Bonjour Monsieur Bau. Voilà, je voulais vous voir car on sait bien sûr qu’Edwige a quelques friandises dans son placard (petits gâteaux au citron et autres chocolats) mais si elle prend du poids, ça va devenir difficile pour nous de lui faire faire des progrès. Et puis ce n’est pas seulement une question de poids mais elle a aussi un taux de sucre trop haut pour son état. Est-ce que vous me comprenez ?
- Oui bien sûr, c’est normal. Je vais lui en parler et je vais également passer le mot à son entourage pour éviter qu’elle ne mange trop de sucreries.
- Je vous remercie et je vous souhaite une bonne fin de journée.
- De rien, vous de même ».
Quand je rentre dans ta chambre, la télévision est allumée et c’est semi-allongée sur ton lit, le dossier relevé que je te trouve. Tu as les paupières closes et les mains sur ton ventre avec les doigts entrecroisés donnent l’impression que tu dors :
« Quiiiiii c’eeesst ?
- Bonjour ma p’tite femme.
- Mooon Béééloouuuuu.
- Bonne pioche ».
Je remarque que ta jambe droite tremble et qu’il t’est impossible de la contrôler. Cela fait deux fois que ça m’interpelle mais aujourd’hui, ça semble plus intense. Pourtant, je ne me pose pas la question car j’impute cela à ta fatigue et à ton état. Je te demande si tu souhaites ouvrir les yeux et c’est évidemment une réponse positive. Je colle un strip sur chacune de tes paupières puis je les rabats délicatement jusqu’au-dessus de tes sourcils. Enfin, je sectionne la tête d’une fiole de sérum physiologique et tu reçois deux gouttes dans chaque œil. Tu tournes la tête lentement vers moi et je lis toute la reconnaissance dans tes yeux. Le son de ta voix est toujours aussi lent si ce n’est que je le trouve un peu plus faible :
« C’eeest biiien queee tuu sooois lààà mon Bééloouu.
- Merci ma p’tite femme. Ah au fait, il y a deux choses, euh… non trois à l’ordre du jour. La première, tu as le bonjour de la cadre de santé en neurochirurgie ainsi que toute leur équipe. Je suis passé leur donner de tes nouvelles avant de venir te voir.
- Ouiiiii, elle eeest geeentiiilleee.
- Je n’ai pas croisé le neurochirurgien qui t’a opérée mais tes nouvelles lui seront transmises.
Gouttes de sérum dans les yeux…
- Et c’est quooooiiii l’auuutreee truuuc ?
- Il va falloir que tu ralentisses les confiseries et les petites douceurs mon amour. On vient de m’apprendre que tu as trop de sucre dans le sang et c’est pour ta santé que je te dis ça ».
Ta réponse va me marquer à vie :
« Maiiiis siii jeee peuuux pluuus maaangeeer meees chooocooolaats eet mees boonboons, qu’eest-cee quee jee vaaaiss faaiiireee ? »
***
Mon dieu, je peux te dire ma petite femme que si j’avais su la suite de cette histoire par avance, tu aurais eu toutes les confiseries, gâteaux et autres chocolats que tu aurais voulus.
***
« Je sais que ce n’est pas très sympa mais si on veut arriver à te faire guérir, ou au moins améliorer les choses, il faut que l’on mette un maximum de chances avec nous. Et puis tu n’as qu’à être moins gourmande » je te lance sur un ton ironique pour te détendre mais cela n’a rien de drôle pour toi. J’essaie de poursuivre avec :
« On ne t’interdit pas d’en manger, il va juste falloir faire attention. D’accord ?
- D’aaaccooord mooon Bééélooouuu ».
Gouttes de sérum dans les yeux…
Je te donne un petit gâteau au citron que tu aimes tant et tu t’en délectes. Je décide ensuite de t’enlever les strips afin que tu reposes tes yeux.
Toc… Toc… Toc…
« Bonjour Mme Bau, on vient vous mettre au fauteuil comme ça vous pourrez aller vous promener.
- Ouiii ».
Après une bonne petite balade, nous revenons à ta chambre. Tu veux rester dans ton fauteuil roulant et tu ne veux pas ouvrir tes yeux. Je prends alors une chaise et tout en m’asseyant face à toi, je sors mon téléphone portable. Depuis le début de ton hospitalisation, je fais régulièrement des photos et autres vidéos pour te montrer plus tard tous les progrès que tu auras fait et tout le travail accompli. Tes coudes sont posés sur les accoudoirs et tu fais pivoter ton poignet droit en ouvrant ta main paume vers le ciel. J’enclenche l’enregistrement mais ne dis rien pour te forcer à parler.
Ta main gauche tape dans l’autre qui est ouverte comme pour mendier quelque chose :
« Dooooonneee moi un Boouuntyy.
- Parle plus fort ma chérie. Je ne comprends pas.
- Doooonneee mooii un Boouuntyy »
Tu viens juste d’avoir une friandise il y a peu de temps. Je dois te mentir et tu me tends toujours la main :
« Des Bounty ? Il n’y en a plus je crois.
- Baaah aaloors un Sniiickeeers…. S’il te plaît.
- Tu en as eu il y a peu de temps. Tu ne peux pas attendre encore un peu ?
- Non.
- Attends encore cinq minutes s’il te plaît ma chérie ».
Tu refermes ta main sachant que je n’accèderai pas à ta requête, puis comme si tu te délectais d’une pâtisserie derrière une vitrine, le bout de ta langue vient caresser tes lèvres en te laissant un goût d’inaccessible. Je me sens mal de ne pas pouvoir te faire plaisir mais que puis-je faire d’autre.
Je remarque que ta tête commence à partir à droite et tu la penches vers l’avant mais ça reste compréhensible étant donné que tes paupières sont closes et qu’il devient difficile de te repérer dans l’espace :
« - Ta tête mon cœur. Bascule un peu en arrière… Top. Remonte sur ta gauche… Top. Encore un peu en arrière… Top. Voilà, ça y est tu as la tête droite. Ce n’est pas facile hein ma chérie ?
- Non ».
Et les choses vont durer comme ça un certain temps…