Chapitre 30
Samedi 18 juillet 2015.
Il doit se dérouler de 21 heures à 22 heures et nous sommes partis suffisamment en avance avec Corben pour arriver le plus tôt possible.
Corben est donc le petit ami d’Angélina, la femme qui m’a présenté Edwige. Nous avons lui et moi le plaisir de partager une belle amitié et ils forment tous les deux un très beau couple. De taille moyenne et assez carré d’épaules, ancien préparateur physique, il a le crâne rasé et il est plutôt beau garçon avec les yeux marron. Ayant beaucoup d’humour, il aime souvent faire ce qu’il faut pour donner à la personne qui lui fait face le sentiment d’être à l’aise.
Nous avons la chance d’avoir une magnifique journée pour faire la route, mais il fait vraiment très chaud, pas moins de 37°C. De plus, la climatisation de sa voiture est en panne et les sièges sont en skaï, mais qu’importe, la bonne humeur est là. Nous venons de faire environ 400 kilomètres sur les 690 prévus à la base et après quelques fous rires, Corben me dit en serrant le volant :
« Sans déconner mon Bélou, t’abuses quand même. 700 bornes… Tu t’rends compte ?
- Bah quoi bonhomme ? On n’est pas bien là ?
- Sérieux, il a vraiment intérêt à être sympa Gilbert parce qu’on en fait du chemin pour lui.
- Pas que pour lui mec, mais aussi pour Edwige.
- C’est pas faux. Ah au fait, pendant que j’y pense, tu ne m’as toujours pas dit où on dormait.
- Euh,… Je n’ai pas pensé à réserver d’hôtel mais ça devrait le faire non ? ».
Il plisse les yeux en haussant les sourcils puis tourne la tête lentement vers moi avec un petit regard sadique tout en faisant attention à la route :
« Tu plaisantes j’espère ?
- Pas vraiment en fait, mais t’inquiète pas ça gère, je suis sûr qu’il y a plein d’hôtels de libre dans le coin.
- C’n’est pas ça Bélou, mais même si ce n’est pas un concert de Michael Jackson, il fait bouger du monde notre ami Gilbert. Alors moi, je dis ça je dis rien, mais ce serait peut-être bien que tu appelles pour essayer de trouver un truc si tu ne veux pas qu’on dorme dans la caisse.
- Pfffffff, non mais n’importe quoi. Mais bon, je veux bien appeler si ça peut te faire plaisir.
- Eh puis pour ta peine, je veux une piaule dans un hôtel avec piscine, jacuzzi, SPA et tout le bazar ».
Je finis par prendre mon portable pour lancer une recherche sur internet et plusieurs numéros s’affichent. 1ère tentative infructueuse… Je marque une moue mais continue sur ma lancée avec un autre choix, deuxième échec.
Tout en regardant la route, il pose sa tête sur le volant en riant :
« Mais je le savais que tu allais me la faire celle-là Bélou.
- Relax mon pote, on va trouver », je lui réponds tranquillement.
Avec un faux-semblant d’énervement, il crie en riant encore plus fort :
« MAIS QU’EST-CE QUE TU FOUS BON SANG ! ARRÊTE DE PARLER ET APPELLE. TROUVE NOUS UN HÔTEL OU JE T’ABANDONNE SUR UNE AIRE DE REPOS MOI ».
Je ris de bon cœur à mon tour pendant que je compose un autre numéro mais je fais chou blanc. Numéro suivant, idem. Les hôtels sont tous complets sur Donzère. Mon collègue se tape l’arrière du crâne sur l’appuie-tête en riant :
« Mais pourquoi est-ce que je t’ai proposé de t’accompagner, hein ? Je devais être bourré c’est sûr. Je sentais que c’était de l’arnaque cette virée ».
À la cinquième tentative, j’arrive enfin à trouver un hôtel, dans le petit village de Pierrelatte à sept kilomètres de notre point de chute, où il ne reste que très peu de chambres de disponibles. Pendant que je commence à discuter avec le réceptionniste, il me dit en chuchotant, la tête penchée vers mon oreille :
« Tu te débrouilles comme tu veux mec, mais je veux une chambre, seul et avec un grand lit ».
Je me tourne vers lui en pouffant de rire alors qu’il reste les yeux rivés sur la route. La réservation est faite pour deux chambres avec dans chacune un grand lit et nous pouvons souffler un peu. Il finit par ajouter :
« Voilà ! Il y a des fois où il faut se montrer un peu ferme pour obtenir ce qu’on veut. Non mais sans blague, c’est qui le boss ? ».
C’est avec des petites vannes similaires que notre périple se poursuit dans une bonne humeur sans faille mais sous une chaleur écrasante et quelque deux heures et demie plus tard, nous arrivons enfin à destination. Nous préférons reconnaître les lieux avant d’aller à l’hôtel et dès l’entrée du village, nous faisons un petit selfie souvenir devant le panneau avec une fierté non dissimulée. Corben a tout prévu pour que je ne manque aucune miette de ce concert et de ma rencontre avec l’artiste. Mini caméra HD, perche télescopique, batterie, carte mémoire et sac à dos pour le matériel. Nous sommes sur les lieux du concert pour trouver un bon emplacement afin de se garer lorsque nous arriverons tout à l’heure et c’est en plein jour que nous découvrons le cadre. Pour ce qui est de l’accueil du public, c’est un très grand espace d’une taille comparable à deux grands terrains de football où un camion scène est installé en bordure de la rivière avec une grande falaise brute faisant face à la Drôme. Également de part et d’autres de cet axe central, de grands points de vue dégagés en pente douce qui permettront à chaque personne présente sur le site de pouvoir en profiter. Quelques photos souvenirs plus tard, nous rentrons pour manger un morceau et nous reposer car nous sommes épuisés par le trajet et la chaleur.
À dix-neuf heures pile, nous sortons des chambres pour arriver assez tôt afin d’être bien placés. De nouveau sur place, nous sommes plutôt surpris par la foule qui commence déjà à s’amasser aux abords du lieu de fête.
Nous choisissons de nous installer à l’ombre non loin de la scène avec une boisson fraîche chacun. Il est 19h45, et c’est très détendu que l’on se sort mutuellement quelques vannes et bons souvenirs pour passer le temps. Puis suite à une remarque de Corben dont je ne me souviens pas, nous sommes pris tous les deux d’une crise de fous rires jusqu’à en avoir les larmes aux yeux. C’est dans cet état d’esprit très léger que mon téléphone sonne à vingt heures avec un numéro que je ne connais pas :
« Oui ?
- Bonsoir Abel, c’est Nikole Montagné à l’appareil. Vous allez bien ?
- Bonsoir Nikole. Oui merci, je vais très bien et vous ça va ? »
Mon caméraman en profite pour me photographier car il voit toute l’émotion sur mon visage :
« Voilà Abel, je voulais vous dire que nous devons faire une petite halte sur Avignon pour manger et nous aurons certainement un peu de retard. Donc je ne sais pas si vous pourrez rencontrer Gilbert juste avant le concert, alors il est plus probable que ce soit après.
- Ne vous inquiétez pas pour ça. Nous sommes venus de loin pour vous voir et nous ferons preuve de patience. C’est déjà vraiment gentil de votre part de m’appeler pour me prévenir.
- Mais je vous l’avais promis, c’est normal. Donc on se voit tout à l’heure.
- Avec grand plaisir et faites attention sur la route ».
Nous profitons de l’animation de la ville proposée sur scène pour la première partie, suivie de l’arrivée des trois choristes de Gilbert pour chauffer la foule. Et c’est à 21h45 qu’une voiture, phares allumés, arrive sur la petite route en haut de la bute et qui descend le long de la Drôme pour se placer derrière le camion-scène.
Vu l’heure qu’il est, je me doute que je ne vais pas rencontrer Gilbert avant le concert et que mon portable ne va pas sonner maintenant. Mais qu’importe, j’ai un concert à savourer…
Lorsqu’il pénètre sur scène habillé très simplement avec jean bleu, chemisette blanche et boléro noir, je ne sais pas comment je dois réagir. Savoir si je suis venu pour toi ou alors pour moi ? Il est vrai que ton état a été l’élément déclencheur pour motiver cette rencontre et il y a cette chanson maintenant qui te colle à la peau. C’est curieux tout de même, un artiste que j’affectionne énormément et que je n’aurais probablement jamais rencontré en privé si tu ne vivais pas cette maladie :
« BONSOOOIIIR DONZÈRE !!!!! »
Une liesse collective submerge tout à coup tout ce public venu applaudir ce chanteur qui aujourd’hui n’a plus rien à prouver. Les applaudissements sont impressionnants et Corben choisit de faire un 360° avec la perche de sa caméra pour capturer cet instant. Une foule immense, les mains levées et qui attend de recevoir cet amour que Gilbert sait si bien dispenser, un homme fédérateur de personnes par le biais de sa passion pour la musique.
Et il débute :
« Bonsoir à tous mes amis !!!
Ça me fait si chaud au cœur et tellement plaisir de tous vous retrouver ici ce soir que j’aurais envie de vous dire un seul mot…
Bienvenue,
Dans ce jardin où les fleurs ne sauront jamais ton nom.
Que tu sois un voleur, un président ou un vagabond.
Bienvenue,
Dans ce jardin où les chiens viendront te lécher les mains,
Que tu sois la plus belle ou la moins jolie des infidèles… ».
Cette chanson au texte magnifique que je connais pourtant par cœur retrouve un sens nouveau pour moi ce soir car je découvre le plaisir immense de pouvoir la chanter en même temps que l’homme qui en est l’interprète. Les titres s’enchaînent les uns après les autres avec à chaque fois beaucoup de plaisir pour moi évidemment mais moins pour Corben, ce qu’il manifeste avec beaucoup d’humour.
J’ai en tête cette image où à chaque introduction musicale d’un nouveau titre, je lui dis :
« Ah ouais elle est géniale celle-là, tu vas voir ! ».
Et pratiquement à chaque fois, il me répond :
« Euh bah pour moi c’est inconnu au bataillon », mais à chaque morceau que Gilbert joue ce soir, il participe à sa façon en filmant la scène, la foule et le plaisir qui se lit sur mon visage.
Environ une heure plus tard, la fin du concert approche. On sent tout autour de nous cette atmosphère énergique qui nous a été transmise, et pour clore ce feu d’artifice musical, l’artiste choisit un titre qui prend une autre dimension avec sa voix, L’hymne à l’amour. Et c’est sur le final de cette merveilleuse chanson que tout le public peut lever les yeux au ciel et admirer un défilé de ballons géants, articulés et multicolores.
Nous savons que les choristes de Gilbert vont rester pour finir la soirée, faire danser une affluence galvanisée et que le chanteur va bientôt être appelé pour signer quelques photos mais ce n’est pas ce que je suis venu chercher. Je réalise alors que tout le plaisir que je viens d’emmagasiner par le biais de sa musique va me servir à me rendre encore plus fort pour continuer d’avancer. C’est bien sûr un artiste que j’aime particulièrement, mais sans même le plaisir de l’avoir approché de près, je sens que j’ai déjà gagné quelque chose.
Quinze minutes plus tard, je sens une vibration à la main suivie d’une sonnerie :
« Abel, c’est Nikole. Vous êtes toujours sur les lieux ?
- Oui, bien sûr.
- Parfait. Alors à droite de la scène il y a des barrières de sécurité. Je vous y attends derrière.
- À tout de suite ».
Je regarde Corben pour lui faire signe que c’est le moment et nous nous engageons vers le lieu convenu. Un homme imposant se dresse devant la ligne de sécurité lorsqu’au même moment, une femme de cœur aux longs cheveux roux arrive et fait signe au gardien de nous laisser passer. Je m’avance très timidement vers elle en baissant légèrement la tête mais tout en la fixant, je remarque alors un sourire discret sur son visage qui met un peu plus en lumière toute la bienveillance que j’avais perçue jusqu’à présent. Je lève lentement la main pour la saluer avec le plus de respect possible et les premiers mots qu’elle m’adresse avec douceur et une grande simplicité sont :
« Oh bah on va se faire la bise quand même ».
Un geste simple et anodin pourtant mais qui ce soir renforce encore plus l’image que je me faisais de cette belle personne. Et c’est avec toujours autant de simplicité qu’elle nous invite à la suivre après avoir salué Cédric également.
Nous passons derrière le camion scène et pratiquement vers l’avant de la remorque, quelques marches conduisent à une petite porte éclairée menant à l’intérieur. Il y a également plusieurs personnes qui s’affairent pour préparer la venue de Gilbert qui est attendu pour signer des photos. Tout en continuant notre petit trajet, nous remarquons un groupe de gens dont on suppose presque instantanément qu’ils sont des fans locaux, des personnes qui suivent l’artiste lorsqu’il passe par chez eux en quelque sorte. L’un d’eux nous voit arriver en compagnie de Nikole et il nous apostrophe avec beaucoup de sympathie en disant :
« Ah ? Tiens, voilà des nouveaux fans ! ».
Je souris amusé en répondant :
« Ce n’est pas totalement faux car c’est la première fois que je vais le rencontrer ».
Avec une certaine fierté mais sans agressivité, il nous envoie à tous les deux :
« Vous savez qu’on vient de loin nous tous. On est de Marseille ! »
Nikole sourit à son tour et lui renvoi :
« Euh… Je crois que ces deux-là vous battent à l’aise.
- Ah bon ? D’où êtes-vous alors ?
- Pas très loin du Futuroscope de Poitiers ».
Son visage change subitement et affiche alors une mine de respect, et c’est sans mot dire qu’il a incliné sa tête vers l’avant avec humour en tendant son bras en direction des quelques marches comme pour simuler une forme de révérence signifiant :
« Bravo bonhomme, je ne peux pas rivaliser ».
Notre guide monte le petit escalier pour ne laisser entrer que sa tête dans le couloir étroit de la remorque :
« Gilbert, Abel est là. ».
Elle nous fait signe d’avancer et se place très discrètement sur la droite. Je monte assez fébrilement la petite rampe pour voir enfin cet homme qui a eu la délicatesse de te donner un peu de son temps et enfin pouvoir le remercier de vive voix.
Il est là, debout, posté dans le petit couloir de l’arrière scène et une fan prend une dernière photo avec lui avant de le prendre dans ses bras. Je remarque quelque chose à ce moment-là, quand il serre son admiratrice contre lui, il se nourrit de l’amour qu’elle lui donne. L’artiste la prend dans ses bras et marque un sourire lorsqu’elle lui dit les larmes aux yeux encore émue :
« Merci Gilbert ! ».
Je m’avance vers lui et le plus simplement du monde il me dit :
« Bonsoir Abel.
- Bonsoir Gilbert. Je ne sais pas par où commencer. Déjà merci d’avoir bien voulu appeler Edwige à l’hôpital.
- Mais je vous en prie, c’est normal. Si cet appel a pu lui donner la force nécessaire pour continuer d’avancer alors c’est ce qu’il faut retenir.
- Je voulais aussi vous demander de vive voix si je pouvais utiliser votre musique pour mon diaporama s’il devait arriver quelque chose.
- Je sais que c’est important pour vous et aussi que vous êtes là pour ça. Alors oui, vous avez ma permission mais j’ai confiance en vous.
- Merci Gilbert ».
Nous échangeons ainsi pendant quelques minutes qui m’ont paru des secondes (beaucoup trop courtes) dans cette bonne humeur qui le caractérise et avec beaucoup de légèreté, il me dit d’un coup :
« Mais sinon, on s’est bien amusé ?
- Oh oui. C’est la première fois que je vous voyais en concert et c’était impressionnant de voir ce que vous dégagez que ce soit dans la voix ou dans votre présence. Est-ce que je peux vous demander un service avant de partir ?
- Oui, si c’est possible.
- J’aimerais prendre une photo avec vous pour Edwige.
- Avec plaisir ».
Instinctivement il se tourne vers l’objectif de Corben comme s’il savait exactement où il est. Je pose ma main sur son épaule et nous prenons la pause pour suspendre dans le temps cette rencontre qui restera pour moi un souvenir mémorable.
Nous sortons des coulisses et Nikole nous attend dehors :
« Alors, ça s’est bien passé ?
- Oui vraiment, merci encore. Dîtes-moi, j’ai deux choses à vous demander. J’aimerais d’abord prendre une photo avec vous si vous voulez bien, j’en ai pris une avec Gilbert et c’est pour Edwige.
- Habituellement je dis non mais là, je veux bien.
- C’est vraiment adorable ».
De la même façon qu’avec son mari, c’est plein de sympathie que nous posons également tous les deux avec une certaine émotion :
« Quelle est la deuxième chose que vous souhaitiez me demander ?
- Je voulais savoir si le numéro qui s’est affiché tout à l’heure sur mon écran est votre numéro personnel.
- Euh, oui… », me répond-elle un peu gênée, alors je la rassure immédiatement.
« Non mais ne vous inquiétez pas. Jamais je ne l’utiliserai de façon excessive et je ne le communiquerai à personne, mais je voulais savoir si vous me donniez l’autorisation de le conserver afin de vous informer si un jour il arrive quelque chose à ma femme ?
- Alors dans ce cas, bien sûr. Mais s’il vous plaît Abel, n’attendez pas qu’il arrive quelque chose. On préfèrerait que vous nous teniez au courant de son état de santé de temps en temps si c’est possible.
- Je le ferai avec beaucoup de retenue et de discrétion. Comptez sur moi ».
Elle nous propose de rester quelques instants avec l’équipe technique, les musiciens et les fans, mais nous choisissons de repartir en la remerciant très chaleureusement.
Nous regagnons la foule et profitons des choristes qui donnent le ton pour continuer de les faire danser dans une ambiance qui monte crescendo, et c’est en musique que nous finissons cette soirée avec pour ma part le cœur léger. La sensation d’avoir accompli un devoir s’empare de moi et je réalise que la détermination pour arriver à cette rencontre était plus forte que tout. J’ai bouclé la boucle autour de cette chanson en rencontrant un homme de valeur et une femme de cœur, pour toi…