Chapitre 9
Mercredi 7 mai 2014.
Aujourd’hui, rien ne va comme prévu et je me dépêche de rentrer rapidement du travail car tu as pris rendez-vous en urgence chez le médecin. Tu sens que tu vacilles de temps en temps et ta vue baisse encore un peu. Nous confions Louis et Pauline à deux adorables voisins, Richard et Marina. Il est responsable technicien dans une industrie et elle est professeur d’espagnol. Nous nous sommes appréciés dès que nous avons emménagé dans notre petit village et c’est donc tout naturellement qu’ils ne refusèrent pas de les garder.
Le médecin ne t’ausculte presque pas à la vue de nos explications car il est maintenant persuadé que ce n’est plus lié à des problèmes d’oreille interne, il t’envoie donc passer une IRM à l’hôpital se trouvant près de chez nous. Nous avons en notre possession une lettre pour pouvoir passer sans rendez-vous étant donné l’éventuel afflux de personnes qui peut être important sur place.
Nous sommes dans la salle d’attente et quatre à cinq personnes sont devant nous. Nous voyons les patients entrer à tour de rôle dans le sas menant à la salle de l’imagerie, ressortir 15 à 20 minutes plus tard pour ensuite être appelé seulement 5 minutes après pour les résultats. Je te rassure, car l’anxiété se lit sur ton visage, en te disant :
« Tu vois ma chérie, ça va assez vite. Ce qu’on va faire pour toi c’est juste une visite de contrôle alors ne t’inquiète pas.
- C’est gentil Bélou mais je ne peux pas m’empêcher de stresser. J’espère qu’ils ne vont rien me trouver.
- Mais non je te dis »
J’essaie d’être rassurant mais je ne suis guère convaincant. Lorsque notre tour arrive, les intervenants nous font quitter auparavant toutes choses métalliques pouvant être dans nos poches ainsi que nos téléphones portables et cartes de crédit. Les objets ainsi collectés sont disposés dans une petite armoire en bois comparable en taille à celle que l’on pourrait avoir chez soi pour ranger les médicaments. Comme je choisis de t’accompagner pour cette imagerie, ils nous donnent à tous les deux des protections auditives.
Nous pénétrons alors dans cette grande salle où nous découvrons cette énorme machine pour la première fois. Il fait un peu frais dans cette pièce et la luminosité y est ténue.
Les médecins t’installent sur le plateau qui se trouve fixé sur des rails devant l’ouverture béante de l’appareil. Nous entendons comme un grondement qui est normal d’après eux puis ils nous laissent seuls après nous avoir expliqué comment allait se passer l’examen.
Tu attends que le processus s’enclenche et je reste debout à côté de toi en posant une main sur ta jambe. Ton corps s’engouffre lentement dans le rond central pour n’y laisser entrer finalement que ta tête. Nous entendons comme des coups de marteau répétés signifiant que l’examen a débuté et ils durent pendant une vingtaine de minutes environ.
L’examen terminé, nous patientons à nouveau dans la salle d’attente. Persuadés que notre tour va vite arriver comme nos prédécesseurs, nous essayons de planifier le reste de notre semaine avec un air faussement décontracté. La porte par laquelle les patients sont appelés s’ouvre et nous nous levons instinctivement, cependant, la femme en blouse blanche nous fait signe de nous rasseoir avec une certaine gêne. Elle part dans un bureau annexe pour revenir quelques instants après accompagnée d’une consœur puis elle referme la porte derrière elles. Au bout de 5 minutes à peine, la scène se répète à nouveau et sans même que l’on se lève, on nous fait signe de patienter encore un peu et c’est donc un autre collaborateur apparemment qui les rejoint à son tour dans cette petite salle. Au bout de 20 minutes, l’homme plus âgé ressort et les deux premières personnes nous invitent à entrer dans une petite pièce et nous font asseoir sur deux chaises face à un bureau. Tu sens comme moi que l’atmosphère est très tendue et on voit parfaitement cette femme devant nous très gênée. Elle prend place à son tour derrière son bureau et sa collègue la rejoint.
Cela ne dure que quelques secondes mais tu as l’impression comme moi qu’elle ne sait pas par où commencer. Avec une voix hésitante elle débute par :
« Bon…, j’étais obligée de demander de l’aide à plusieurs de mes collègues car je ne voulais pas émettre un faux diagnostic.
- C’est-à-dire ?, demandes-tu.
- Eh bien… Euh…, vous avez ce qui s’appelle un cavernome du tronc cérébral.
- C’est quoi, une tumeur ?, je demande à mon tour.
- Eh bien oui mais non cancéreuse. Disons qu’en ce qui concerne les angiomes caverneux du cerveau, ce qui est votre cas, il s’agit de petites tumeurs qui sont classées parmi les malformations artérioveineuses.
- Que va-t-il se passer maintenant ? Comment cela va évoluer ?, demandes-tu.
- C’est vraiment difficile à dire en ce qui concerne les cavernomes du tronc cérébral. Il est vrai que c’est mal situé car c’est une zone stratégique, mais je ne peux me prononcer sur une hypothétique évolution en vous donnant des informations erronées. Une chose est sûre, c’est évidemment ce qui justifie vos symptômes car il doit être en train d’appuyer sur les zones qui contrôlent la vision et l’équilibre, mais il serait préférable je pense que vous preniez rendez-vous avec un neurologue/neurochirurgien pour comprendre et savoir ce qui va suivre ».
Sa collaboratrice assise à sa droite poursuit :
« Le CHU de Poitiers dispose d’un des meilleurs pôles neurosciences de France. Nous ne voulons pas influencer votre choix mais vous auriez cette opportunité de pouvoir profiter des meilleurs atouts qui sont à votre portée »
Nous prenons ces renseignements et les personnes à contacter puis nous quittons ce bureau ébranlés et choqués par cette nouvelle que nous n’attendions pas. Nous sommes sur le parking de l’hôpital. Tu es assise dans la voiture et tu regardes dans le vide. Tu appelles ta sœur, ton frère et tes parents tandis que de mon côté je préviens mon oncle et ma tante ainsi que mes sœurs.
Nous venons d’être confrontés à des mots qui nous étaient étrangers ou alors qu’il nous arrivait d’entendre dans des films et séries. Un type de vocabulaire qui allait devenir notre quotidien sans que l’on y soit préparé. Je crois très honnêtement que personne n’est jamais préparé à ça car nous vivons tous notre vie avec une certaine forme d’insouciance. On fait bien sûr tous, ou presque tous, plus ou moins attention dans la vie de tous les jours même si personne n’est à l’abri d’un accident domestique ou de voiture. Mais ce par quoi tu es frappé est une chose à laquelle personne ne pouvait s’attendre. Toi, MON Edwige… Ce petit bout de femme pleine de vie, toujours souriante et riante.
Nous finissons par rentrer en récupérant nos enfants chez nos voisins. Richard et Marina, qui surpris et choqués eux aussi, nous assurent leur soutien en nous promettant de les garder à nouveau si besoin est.
C’est étrange, mais le jour où nous avons appris le diagnostic, notre regard sur les enfants a changé.
Dès lors, nous les couchons le soir et je vois ton regard quand tu fermes la porte de leur chambre. Il dit :
« Et maintenant ?… »