Chapitre 10
Nous voulons en savoir plus dès le lendemain du diagnostic car nous sommes totalement perdus, et pour toi comme pour moi, il y a urgence. Cependant, tu n’as pu avoir un rendez-vous que pour la fin mai. Ce n’est pourtant pas très long, mais pendant ce laps de temps, nous serons confrontés à nous-même avec nos questions, nos doutes et nos peurs. La secrétaire médicale avec qui nous avons convenu le rendez-vous nous a expliqué qu’il serait judicieux de préparer sur une feuille toutes les questions que nous pourrions avoir à poser au neurochirurgien, même celles qui pouvaient nous paraître naïves ou insignifiantes.
Alors nous commençons notre recherche sur internet tout en sachant que certaines informations seront à prendre au conditionnel. Mais que pouvons-nous faire d’autre ?
Les mots commencent à apparaitre les uns après les autres : « définition du tronc cérébral », « situé entre le cerveau et la moelle épinière », « mésencéphale », « protubérance annulaire », « bulbe rachidien »…
Notre regard se perd assez vite et nous tombons rapidement sur des articles et des forums de discussions qui abattent notre moral. Nous choisissons alors de structurer notre recherche pour comprendre uniquement à quoi sert le tronc cérébral, tout en s’appuyant sur les photos de l’imagerie dont nous disposons, et à comprendre son fonctionnement. Nous y apprenons que le tronc cérébral sert de passage pour les nerfs qui montent au cerveau et ceux qui en descendent. Tu lis les informations qui nous font savoir que le cavernome s’est développé dans la partie centrale, la protubérance annulaire (ou le pont), où se trouvent les nerfs qui jouent un rôle principalement sur la motricité grâce aux liaisons entre le cerveau et le cervelet. Tu comprends alors tes troubles de l’équilibre.
Puis nous remarquons sur les photos que cette tumeur a tendance à remonter vers le haut du tronc sur ce qui s’appelle le mésencéphale. Cette partie gère principalement les nerfs contrôlant les fonctions de la vision et de l’audition, ce qui nous explique tes troubles de la vue.
Enfin, nous apprenons que la partie basse du tronc cérébral, le bulbe rachidien (ou moelle allongée), n’est pas touchée. Une certaine bonne nouvelle puisque s’y trouve les nerfs qui gère les fonctions respiratoires.
Tu vulgarises toutes ces informations en disant :
« Ouais en gros, ce tronc cérébral de merde, c’est une gaine électrique où passe tous les câbles »
Je souris amusé, mais la comparaison n’est pas si innocente, et c’est une expression que je vais reprendre régulièrement à partir de cet instant. Puis, tu souris également mais je ressens ton inquiétude alors j’essaie de dédramatiser en disant :
« Mais attends chérie, on sait déjà que ce n’est pas cancéreux et on ne sait même pas comment ça va évoluer.
- Oui mon Bélou mais nos enfants sont si jeunes. Qu’est-ce qu’on va bien pouvoir faire maintenant ?
- On pourrait déjà commencer par dresser une liste de questions, non ?
- Tu crois que je vais mourir ?
- Arrête un peu tes conneries ! On a une vie à vivre et des enfants à élever ! Ce genre de choses arrive aux autres mais pas à nous ».
Tu me regardes et les larmes te montent aux yeux. Je comprends alors que je dois être plus fort et ne pas paniquer. Je poursuis :
« Ecoute, on ne saura pas à quoi s’en tenir tant que nous n’aurons pas vu ce neurochirurgien. Alors on va bosser ensemble sur ces questions qu’on doit lui poser, maintenant que l’on sait ce que tu as et à quoi sert cette gaine comme tu dis. Tu veux bien ? »
Tu commences à pleurer en mettant ton visage dans tes mains, je te prends alors dans mes bras et tu poses ta tête sur mon épaule. Je caresse ton dos pour te réconforter et tu te redresse pour prendre un mouchoir, puis je sens ta respiration qui ralentit et ton calme qui revient.
« OK mon Bélou, faisons cette liste… ».
Nous établissons une vingtaine de questions des plus simples aux plus complexes et choisissons de ne plus regarder ce qu’il y a sur internet.
***
Fin mai 2014.
Nous pénétrons, au bout de plusieurs jours d’attente interminable, dans le bureau où nous attend ce neurochirurgien.
Plusieurs jours d’attente avec l’espoir d’avoir toutes les réponses à nos questions pour hier, aujourd’hui et surtout demain. Tu t’assois et quittes le bandeau que tu portes depuis quelques temps pour cacher par alternance chacun de tes yeux afin de faire travailler l’autre.
Je me poste à côté de toi et pratiquement en même temps, le Docteur s’assied également derrière son bureau face à nous. Il est assez grand avec une silhouette fine. Les cheveux rasés et dégarnis avec une fine barbe soigneusement taillée. Il nous apparaît à tous les deux très calme et posé. Et c’est avec cette voix calme qu’il engage le début de cette première conversation :
« Bonjour. Alors vous souhaitiez donc me rencontrer au sujet d’un cavernome du tronc cérébral que l’on vous a diagnostiqué ? »
Nous sommes étonnés de la façon dont il pose cette question, mais nous répondons tous les deux très logiquement :
« Oui.
- Avez-vous des questions particulières ?
- Depuis le diagnostic, nous sommes allés sur internet pour tenter de comprendre ce qu’était le tronc cérébral, réponds-tu. Et puis nous voulions surtout savoir si c’était grave ?
- Alors il faut déjà que vous sachiez que la plupart des cavernomes se détectent lorsqu’ils font 1,5 cm de diamètre, ce qui est votre cas et j’ai bien pris le temps d’étudier les imageries que vous m’avez fournies.
- Que va-t-il se passer maintenant ? » demandes-tu inquiète. « Est-ce que ça va s’aggraver ? Est-ce que ça va grossir ?
- C’est une possibilité mais elle est infime. Je veux dire qu’il y a beaucoup plus de chances que cela se stabilise. En tout cas c’est ce qui arrive dans bon nombre de cas pour ce type de tumeur. Il y a également la possibilité, certes plus mince, pour qu’il se résorbe car ça s’est déjà vu mais c’est un peu plus rare. Il faut aussi savoir que dans ce type d’anomalie vasculaire cérébrale, nous essayons plus de mettre l’accent sur le risque de saignement spontané. Nous n’avons pas vraiment d’échelle de risque à ce niveau car comme son nom l’indique, c’est spontané. En revanche, il y a une augmentation de ce risque après le premier saignement.
- Est-ce que vous pensez que je dois me faire opérer pour l’enlever ?
- Alors je vais vous dire non pour plusieurs raisons. La première, c’est parce que c’est une zone stratégique. Il y aurait trop de risques pour un résultat bien inférieur à ce que vous souhaiteriez. Je veux dire que nous ferions plus de mal que ce que vous avez aujourd’hui et ce n’est bien sûr pas le but recherché.
La deuxième, c’est que ce n’est pas cancéreux donc il n’y a pas de risque que vous développiez un cancer.
- À ce sujet, ma question sera peut-être naïve mais peut-on enlever ce cavernome avec des rayons ou de la chimio ?, je lui demande à mon tour.
- Non, votre question n’est pas naïve au contraire mais dans votre cas, même si les rayons sont une technique précise, nous ferions encore une fois beaucoup de dégâts par rapport au résultat escompté vu la difficulté de la zone visée.
- Ne le prenez pas mal, mais on doit juste attendre… C’est ça ? », dis-tu presque agacée.
« Il y a une certitude, c’est qu’il va falloir le suivre de très près. Il est aujourd’hui trop tôt pour connaître ou définir une évolution hasardeuse. Donc, nous allons vous programmer une prochaine IRM dans 6 mois afin de s’assurer que cela évolue dans le bon sens ou plutôt comme nous le souhaiterions ».
Tu commences à ressentir un certain apaisement en écoutant ces mots. Ce docteur à l’air confiant et puis nous pensons toi comme moi que nous ne devons pas être les seuls dans ce cas. Ce qui m’amène à la question suivante que nous avions préparée :
« Avez-vous déjà eu beaucoup de cas comme nous ?
- C’est difficile à dire en fait car si on se réfère à des statistiques pures, la plupart des cavernomes restent silencieux et inactifs, on dit alors qu’ils sont « asymptomatiques » et ils représentent la forme la plus courante. Cela peut toucher aussi bien les femmes que les hommes et lorsqu’il est détecté, ça survient en général entre 20 et 40 ans. En fait, peu de personnes atteintes présentent des symptômes et beaucoup d’entre elles ne sauront jamais qu’elles ont ce type d’anomalie. Évidemment dans votre cas, c’est différent étant donné la localité. On dit alors de lui qu’il est « symptomatique » et là, ce sont les formes moins courantes.
Concernant l’évolution de votre cavernome symptomatique donc, encore une fois ça peut tout à fait se stabiliser voire régresser mais il y a aussi la possibilité que cela s’aggrave si il y a un premier saignement.
- Est-ce que ça peut se propager au reste du cerveau ou même du corps ? demandes-tu en froissant ta feuille dans tous les sens depuis le début de l’entretien.
- Non avec une certitude absolue. Il est possible qu’il saigne mais le cavernome n’est pas un cancer donc il n’y a aucun risque de propagation au reste du corps. C’est le risque de saignement qu’il va falloir surveiller comme je vous disais tout à l’heure, mais vous aurez toujours ces symptômes qui devraient être présents avec plus ou moins d’insistance. Je ne cherche pas à minimiser votre état bien sûr mais théoriquement, vous devriez tout à fait pouvoir mener une vie normale ponctuée par ces désagréments. Gardez à l’esprit que cela ne devrait pas ou peu évoluer car c’est ce qui arrive dans plus de 90 % des cas ».
Voyant que nous ne posons plus de questions et que je finis de prendre des notes, il nous dit très logiquement :
« Avez-vous d’autres questions ? »
Tu me regardes de façon interrogative et comme pour me demander mon avis, tu relèves le menton dans ma direction. Je hoche la tête de façon négative et tu dis :
« Non, merci Docteur.
- En attendant de pouvoir passer votre prochaine IRM dans 6 mois, n’hésitez pas si vous avez des questions, auxquelles vous n’avez pas pensées, à les transmettre à ma secrétaire pour vous répondre le plus rapidement possible. Sachez que je comprends votre inquiétude mais pour l’instant il y a vraiment très peu de chance pour que cela s’aggrave.
- Merci Docteur, dis-tu.
- Merci Docteur, dis-je à mon tour ».
Nous quittons ce bureau avec l’esprit plus léger qu’en y entrant et en retenant ces mots :
« Pas cancéreux », « peu de chance que ça évolue pour l’instant », « à surveiller »…
Sur l’instant, tu fais comme moi je pense une espèce de synthèse inconsciente qui nous laisse penser que tu ne te débarrasseras pas comme ça de cette chose, mais il y a un espoir assez fort pour que tu vives correctement.
***
Le vendredi suivant, nous croisons dans la galerie marchande d’un hyper marché, une de mes amies d’enfance, Virginie. Elle est accompagnée de sa mère. Ce qui me trouble aujourd’hui avec le recul de notre histoire, c’est que tu ignores comme moi à cet instant le rôle qu’elle aura à jouer plus tard…
Je m’avance vers elles, et je lance :
« Salut les filles, ça va ?
- Tiens Abel ! Ça va pas trop mal et toi ? »
Virginie ainsi que Mireille, sa mère, te voient avancer vers elles avec ton bandeau cachant ton œil droit. Tu es un peu gênée car tu sais pertinemment que cela appelle à l’interrogation. Tu ne souris pas mais tu n’as pas non plus une mine triste.
Virginie savait que tu allais passer des examens mais elle ignorait quel était le résultat et aussi que nous avions rencontré le neurochirurgien il y a quelques jours. Quant à sa maman, c’est la première fois qu’elle te voit. Je leur réponds avec une mine décontractée pour mettre Edwige en confiance :
« Eh bien ça y est, on sait ce que c’est. C’est un cavernome du tronc cérébral »
Je continue d’expliquer toutes les informations auxquelles nous avons eu accès depuis quelques jours mais ce que j’ignore à ce moment-là, c’est que mon amie est mal à l’aise car elle-même est la secrétaire d’un neurochirurgien et elle sait que l’avenir sera délicat lorsque je lui annonce ce par quoi tu étais touchée. Nous terminons rapidement cette petite discussion car tu es debout en te maintenant à la barre du caddie et je sais que tu te fatigues vite…