Le temps des secrets

Abel Bau

Les premiers symptômes (1)

Chapitre 3

Mars 2013.

Pauline est là depuis un mois et tu savoures chacun des instants passés avec elle. Il est vrai que tu as eu la frustration pour Louis de ne pas pouvoir le nourrir au sein car il s’énervait à chaque fois et cela te fatiguait encore plus. Alors qu’avec notre petite Pauline, tout se passe très bien. Elle prend ses « aises » et a fait ses nuits en à peine 15 jours.

Je rentre du travail en tout début d’après-midi et je te retrouve endormie sur le canapé. Je remarque que tu as besoin de plus en plus de repos mais rien d’étonnant, tu es à nouveau maman depuis peu. Notre fille dort paisiblement dans son lit, notre fils est à l’école. Sans mot dire, je prépare tranquillement le repas pour venir te réveiller lentement ensuite.

Un baiser (plutôt deux) puis une douce étreinte pour te tirer de ce sommeil. Nous nous mettons à table puis tu lances :

« Mon Bélou, j’aurais franchement besoin d’aller chez l’ophtalmo, j’ai la vue qui baisse depuis quelque temps.

- Oui pas de soucis

- Et puis, j’en ai marre de ces lunettes. Elles font vieille poule, elles me font mal au nez et elles me donnent mal au crâne.

- Et bien, t’es pas à court d’arguments ma chérie. Tu plaides bien ta cause. T’aurais dû être avocate ! »

Elle me sourit puis poursuit :

« Moque-toi va ! Et puis après tout, on paye une mutuelle.

- Nuance ma chère, JE paye la mutuelle. C’est celle de mon travail je te rappelle.

- Et alors ?… Ah OK je capte, Môsieur veut la gloire et les lauriers ! Alors soit.

- Oui je veux la gloire et toi, tu veux frimer avec des nouvelles lunettes.

- T’as tout compris mon Bélou ! »

Je souris puis je capitule en disant :

« OK, on finit de manger et j’appelle. Par contre, accroche-toi ma vieille (bim… pour la charrier un peu), ça prend vachement de temps pour avoir un rendez- vous chez l’ophtalmo.

- RRRaaaah, oui je sais »

Bizarrement, nous obtenons un rendez-vous quelques jours plus tard car il y a eu un désistement juste avant mon appel.

« Tu vois quand tu veux, et puis si t’as obtenu un rendez-vous aussi vite, c’est parce que je suis parfaite et que j’ai de la chance et…

- Mouais… ! »

Je t’interromps en marquant une moue ironique et dubitative pour ne pas te soutenir dans ta phase mégalomaniaque.

Quelques jours plus tard, le rendez-vous révèle en effet que ta vue a baissé. Le docteur t’explique que tu vas avoir un épaississement des verres. Tu fais savoir que ça ne te plaît pas car les tiens le sont déjà assez mais elle te rassure par le fait que maintenant, les opticiens arrivent à camoufler l’épaisseur par des belles montures, et puis il y a toujours les lentilles.

Des nouvelles lunettes et c’est reparti, tu aimes ce petit changement et ça te fait du bien.

***

14 juillet 2013.

Comme prévu, nous nous rendons dans une grande commune, pas très loin de Poitiers, chez des amis pour le feu d’artifice, Loïc et Mélina. Il est pour toi un ami d’enfance.

Vous avez grandi dans le même coin et usé les mêmes bancs d’école. Il compte beaucoup pour toi et je me rappelle maintenant que tu me relatais souvent le même souvenir à son sujet :

« J’adore Loïc mais, sérieux, il était juste en face de moi en classe et il n’arrêtait pas de renifler. Je lui répétais souvent : « Mais bon Dieu, tu peux pas t’moucher non ? »

Mélina, quant à elle, était sa petite amie et elle a eu deux magnifiques enfants avec Loïc. Même si la vie impose parfois que deux personnes se séparent, elle reste une personne très agréable et j’aime garder dans un coin de ma tête les moments positifs d’une vie. Vous allez toutes les deux partager un pur moment de fête et il va rester dans vos cœurs.

Sur la route qui nous mène chez eux, tu me sors très naturellement :

« Je te préviens Bélou, ce soir c’est à toi de ramener la voiture.

- Pas de soucis ma chérie mais je te préviens aussi… Je comprends que tu veuilles profiter de la soirée et boire quelques verres avec Mélina, en revanche si tu bois un coup, c’est façon John Wayne. Comme un cow-boy quoi. Pas du genre, je bois deux ou trois verres et après plus rien.

- Oui OK, mais ne t’attends pas non plus à ce que je roule sous la table ou alors que je chante la marseillaise en italien. Je veux quand même rester lucide.

- (rire ironique)… On verra ma chérie.

Une soirée tout ce qu’il y a de plus sympa.

Un apéro qui démarre bien (pour moi c’est de l’eau… no comment).

Début du barbecue, puis l’entrée arrive sur la table. Je discute avec Loïc et l’on regarde nos compagnes respectives.

Pendant qu’on se relaie pour retourner les grillades, avec une pince qui de toute façon fait que tu te brûles toujours les doigts, on vous voit toutes les deux rire aux éclats. Les pommettes un peu rouges mais pas éméchées. On ne sait pas sur quel sujet vous êtes, mais c’est suffisamment comique pour que vous en ayez les larmes aux yeux. Vous refaites le monde un verre à la main, votre tête bascule en arrière et vous riez encore et encore. Loïc et moi apprécions ce moment et l’on prend plaisir à vous regarder… tant et si bien que la moitié des grillades est bientôt (ou plutôt bien trop) cuite.

Nous décidons de vous rejoindre à table pour partager l’entrée alors qu’il commence à faire nuit. Je lance :

« Ça va mesdames, on ne vous dérange pas j’espère ?

- Pour une fois qu’on ne vous a pas dans les pattes ! rétorque Mélina encore les larmes aux yeux.

- Ouais, deux folles ! Youuuu Ouuuuuuh !!!! Et en plus on ne conduit pas ce soir pour aller au feu. Tu surenchéris à haute voix en levant les bras comme si tu venais de terminer 1ère au 100 mètres.

- Mouais, c’est sympa tout ça, poursuit Loïc. Mais il faudrait peut-être justement se dépêcher vu l’heure et puis on va y aller à pieds l’équipe de choc parce que là vous commencez à virer genre Sue-Ellen dans Dallas alors une marche, ça devrait vous faire du bien. »

Papier alu sur les grillades pour qu’elles ne refroidissent pas (mais c’est peine perdue) et l’entrée à peine engloutie, nous partons bon pied bon œil avec nos enfants, Mélina et toi en chefs de meute.

Sur la route, « Les Girls » rient bras dessus-bras dessous. Tu accostes pratiquement toutes les voitures à pied pour dire bonjour suivie de très près par Mélina. Loïc se cache dans le noir en retrait pour ne pas être associé à ces demoiselles et je poursuis la route avec les loulous pour fermer la marche.

Nous assistons donc à un superbe feu d’artifice et c’est avec des étoiles dans les yeux et dans ceux de nos enfants que nous revenons chez nos amis pour manger des grillades réchauffées au micro-ondes mais toujours avec le sourire aux lèvres.

Le repas se termine avec quelques verres supplémentaires pour toi, et tu montres au fur et à mesure de la soirée que tu arrives à une certaine saturation tout en restant « digne »…

Un ami à moi, Nicolas, aurait dit :

« Elle s’est manifestement égarée dans un dédale de sentiers vicinaux ! »

Je t’aide à t’installer dans notre voiture puis tu quittes tes chaussures pour disposer tes pieds sur le tableau de bord (sans aucune gêne) et là, par un phénomène qui n’a rien de surnaturel, tu t’endors presque instantanément. Je marque un large sourire car tu as tenu ta promesse… Une vraie cuite façon John Wayne. Tu me fais d’ailleurs remarquer, tel un cow-boy sur sa monture, que ça tangue pratiquement à chaque changement de vitesse. Je ralentis (encore) et nous mettons bizarrement plus de temps que prévu pour rentrer.

C’est après plusieurs péripéties que j’arrive à te coucher. Tu me dis que tu m’aimes et je te serre fort contre moi. Je t’embrasse tendrement et tu t’endors pour la 2ème fois de la nuit.

Le lendemain mat…, plutôt en début d’après-midi, tu te réveilles et tu vas jurer par tous les saints que plus JAMAIS tu ne boiras de l’alcool à outrance. Ton tube d’aspirine et ton mug de soupe seront tes meilleurs compagnons pour le reste de la journée…