Chapitre 34
Fin juillet 2016.
Un mois environ que tu es à Lusignan. Même si le temps est en quelque sorte suspendu pour toi, nous nous efforçons avec les enfants de mener une vie quasiment normale.
Un samedi comme les autres et je profite d’un temps magnifique pour effectuer quelques travaux de rafraîchissement de la façade. Un coup de klaxon attire mon attention et une voiture s’arrête sur la petite place devant chez nous. Une femme descend et je la reconnais immédiatement…
Une belle femme tout en douceur arrive avec un large sourire éclatant mais une démarche hésitante. Sylvie, présidente de l’APE de l’école s’approche de moi. Elle, qui a pourtant un mal identique au tien, arrive à mener une vie pratiquement normale. On voit nettement que de temps en temps son équilibre vacille légèrement mais cela ne l’empêche de conduire sur des petites distances pour emmener sa fille à l’école ou se rendre à son travail qu’elle occupe maintenant à mi-temps à cause de sa fatigue :
« Salut Monsieur Abel, comment vas-tu ?
- Coucou Sylvie, muy bien et toi ?
- Nickel, il fait super beau ce matin et j’ai juste une petite course à faire. Je vais profiter de cette fraîcheur et après je vais m’enfermer à la maison car ça va être intenable cet après-midi. Et toi, t’es en plein nettoyage à c’que je vois ?
- Yes, je décape mon muret au Kärcher et je profite comme toi qu’il fasse encore frais car cet aprèm, ça va être chaud bouillant.
- Comment va la miss ?
- J’aimerais sincèrement te dire de belles choses, mais elle est à Lusignan depuis un mois et je peux juste te dire que ça suit son cours. Elle est franchement tombée encore une fois sur une très belle équipe mais je ne pense pas que quelque chose de neuf arrivera.
- OK… Je suis vraiment désolée tu sais ».
Elle pose sa main sur mon épaule avec un regard plein de compassion et d’amitié. Je la sais sincère et franche car elle peut mieux que quiconque comprendre ce que tu traverses. Tout comme son mari Thierry qui est sur tous les fronts pour vivre avec elle une existence normale. Nous échangeons ainsi brièvement pendant une bonne dizaine de minutes sur toi et quelques autres choses légères puis elle repart en me promettant de se revoir rapidement.
Je la regarde s’éloigner alors que je sens les rayons du soleil me chauffer lentement les épaules. Elle se retourne pour m’envoyer un dernier sourire et c’est à ce moment que je ressens un sentiment étrange et contradictoire, comme une douce jalousie amicale. Ce sentiment où je souhaiterais que tu puisses vivre ta vie de femme et de maman comme elle mais tout en me délectant qu’elle puisse le faire.
Vendredi 12 août 2016.
Comme un papa bien organisé, je finis d’étendre mon linge et m’apprête à partir pour récupérer mes enfants à la garderie. Un petit sms vient rompre cette fin de journée routinière :
« Bonjour Abel,
Un mot pour te dire que Sylvie nous a quittés en début d’après-midi suite à une complication soudaine.
Thierry ».
…
Les yeux fixes, mon regard se perd dans le vide :
Je ne comprends pas, je l’ai vu il y a encore quelques jours et elle était « bien ».
Ce n’est vraiment pas juste, car elle avait la possibilité de vivre sa vie sereinement.
Peut-être que ce devait être ainsi, que c’était écrit.
Je suis content de l’avoir revu au moins une dernière fois Tu vas vraiment nous manquer Sylvie…
Je renvoie un message très court à son mari afin de lui signifier tout notre soutien.
Quelques jours plus tard et avec une photo de toi dans ma poche (car c’est ce que tu souhaitais lorsque tu as appris son décès), j’assiste aux obsèques d’une grande dame.
Une grande dame qui avait un mal identique au tien, mais qui nous a surtout quittés beaucoup trop tôt, Sylvie.