Le temps des secrets

Abel Bau

Un regard neuf comme objectif

Chapitre 37

Fin mai 2017.

Mon amie d’enfance, Virginie, publie quelques photos sur son profil car elle veut partager une belle expérience qu’elle vient de vivre. En effet, grâce à une amie, elle a eu accès à un véritable shooting photo.

Je parcours du regard les différents clichés sur son journal et c’est un véritable travail d’artiste qui défile sous mes yeux. De magnifiques photos qui la mettent en valeur et révèlent toute sa féminité avec, pour certaines, une petite pointe de charme en toute discrétion.

Je regarde le nom de la société qui a réalisé ce travail, Créatifocus, et sans attendre, j’appelle Virginie.

Très gentiment elle m’explique comment s’est déroulée sa séance photo et comment faire pour rencontrer la photographe, Kirsty Withams :

« Tu vas voir Abel, elle est vraiment sympa. Cependant…, (elle marque un petit rire discret)

- Qu’est-ce qu’il y a ?

- J’espère que tu as quelques petites notions d’anglais.

- Bah, ça va je me débrouille. Enfin comme toi quoi.

Rires

- Mais ne t’inquiète pas, elle travaille avec Louise. C’est une amie à elle et elle est parfaitement bilingue donc ça aide beaucoup pour la séance.

- Oui, c’est clair que ce n’est pas plus mal.

- Bon alors ?

- Alors quoi ?

- Tu le fais ou pas ?

- Oui, j’en ai besoin. Je veux un regard neuf pour me sentir vivant.

- Ça se comprend. En revanche, tu me tiens au courant de la date et tu me raconteras comment ça s’est passé.

- Promis miss »

Quelques jours plus tard, le rendez-vous est pris avec Kirsty pour fin juin.

24 juin 2017, le jour du shooting.

Je me gare dans une petite allée de gravier en campagne. Une jolie maison de taille moyenne avec une petite dépendance attenante. Je sors du véhicule et une douce chaleur enveloppe mon visage, la journée est idéale. Je te sens dans mon cœur.

Louise, l’amie de Kirsty m’accueille et fait les présentations.

Elles me mettent tout de suite à l’aise, in english of course, puis Kirsty me demande de lui montrer les différentes tenues que j’ai choisies. Jean bleu, chemise blanche ou de couleur sombre, veste de soirée et pantalon noir, chaussures de ville ou décontracté… Bref, tout y est.

Satisfaite d’avoir du choix pour ses prises de vue, nous entrons dans la dépendance où se trouve un local qui appartient à une autre amie, Sophie, et qui s’en sert pour ses séances de massage, car elle est esthéticienne.

En moins de temps qu’il n’en faut pour le dire, les trois girls s’affairent à dresser un fond noir pour certains clichés, sortir deux ronds de toile blanche pour renvoyer la lumière, un petit escabeau en bois de trois marches et un matelas d’une personne recouvert d’un drap propre. En dehors du champ, une petite table avec quelques boissons et un sachet de friandises. La professionnelle de l’instantané me lance :

« If you want to eat or drink, do not bother. (Si tu veux manger ou boire, ne te gêne pas)

- Thank you very much Kirsty. I think I will need sugar later. (Merci beaucoup Kirsty. Je pense que j’aurai besoin de sucre plus tard) ».

Nous sourions tous les trois, il est 11h40 et la séance commence sans Sophie qui a d’autres affaires à régler.

Clic… Clac…

Je remarque le reflet sombre de ma silhouette dans le verre de l’objectif qui me fixe. Je reste souriant mais un peu timide. Je dois reconnaître que même si nous ne sommes que trois dans la pièce, les regards sont exclusivement posés sur moi et c’est plutôt déstabilisant.

Louise s’éloigne du champ et enclenche une enceinte connectée à son téléphone pour diffuser une playlist plutôt rythmée et entraînante. Les poses s’enchaînent avec le cliquetis très caractéristique du déclencheur. Je commence à me détendre.

Tiens, c’est marrant de jouer au modèle. Ça me fait rire.

Je suis en train de jouer avec l’objectif sans prétention aucune. Mais au bout d’une heure et demie, je perçois une sensation étrange en moi.

C’est bizarre, je dois être un peu fatigué…

Kirsty le remarque:

« Do you want to eat something? (Veux-tu manger quelque chose)

- Just one candy and a glass of water ». (Juste un bonbon et un verre d’eau)

Nous reprenons le travail après une petite pause de dix minutes, mais très vite la même sensation revient.

Elle me demande d’alterner différentes pauses corporelles mais aussi différentes expressions de visage. Souriant, sérieux, détendu ou encore coquin. C’est là que je comprends.

T’as encore des émotions Abel. T’es pas mort mon pote alors vis et profite…

Ce shooting est entrain de m’apporter bien plus que ce que j’espérais. Je cherchais juste à me sentir vivant sous le regard d’un objectif mais c’est une palette d’émotions que cette femme fait ressortir en moi. Être vu pour exister afin d’exister pour voir.

Aux alentours de 15h40, la séance se termine au bout de presque quatre heures et c’est fatigué mais serein que je repars car j’ai trouvé ce que j’étais venu chercher.

27 juillet 2017, découverte des clichés.

Nous fixons le rendez-vous devant un petit bar situé dans la galerie marchande d’un grand centre commercial.

Assis autour d’une table basse, Kirsty, Louise et moi commandons un café. Cette nouvelle amie photographe me tend un étui noir peu épais, en carton rigide et au format A4.

Des élastiques de couleur dorée maintiennent le couvercle de la boîte en deux coins opposés, qui, après avoir été retiré, laisse apparaître un papier d’emballage noir et très fin. Je le retire très soigneusement et une vague d’émotions me submerge lorsque je découvre le premier instantané. Je rabats le couvercle rapidement en étant très surpris et touché à la fois.

Kirsty marque un petit sourire et me demande :

« Something is wrong ? (Quelque chose ne va pas ?)

- No, don’t worry. It’s just that I’m very touched. (Non ne t’inquiète pas. C’est juste que je suis très touché).

- Yesssssssss ! », dit-elle en serrant le poing comme pour marquer une fracassante victoire.

C’est les joues rouges que je parcours des yeux les vingt-cinq clichés sélectionnés sur environ 800 prises de vues réalisées. J’ai le droit de retenir douze photos par rapport au forfait que j’ai choisi mais c’est une décision difficile car elles sont toutes superbes et j’ai le plaisir de contempler un véritable travail d’artiste. Virginie ne m’avait pas menti.

Après avoir, de façon très minutieuse, finalisé mon tri pour ne garder que le dessus du panier, nous prenons une bonne demi-heure pour échanger sur nos vies respectives.

Louise et Kirsty me parlent à tour de rôle de leur parcours professionnel ainsi que de leur vie personnelle. Puis vient mon tour où je fais de même pour ensuite expliquer ce qui m’a conduit à réaliser ce shooting. Mon anglais se mélange à la traduction de Louise lorsque j’aborde ton état de santé et tout ce qui s’est passé depuis trois ans. Toutes deux sont surprises du calme et de l’aplomb dont je fais preuve pour affronter cette situation mais je n’en tire aucune gloire ni aucun mérite. Je leur explique les moments où j’ai failli passer de l’autre côté ainsi que l’acceptation qui m’a conduit à vouloir avancer, ce désir que j’avais de braquer sur moi un regard neuf.

Au moment de l’au revoir, c’est après une étreinte amicale que nous échangeons nos profils sur le réseau social afin de rester en contact, puis c’est le cœur léger que je repars avec mon petit trésor sous le bras plus vivant que jamais.